Marketing et design : complémentarité de moyens au service de l’expérience de la marque

Marketing et design : complémentarité de moyens au service de l’expérience de la marque

parAnne-Sophie Prévostcatégoriele design dans l’organisation

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Panel d’utilisateurs moyens ou compréhension d’utilisateurs spécifiques ?

L’un n’est pas l’outil “au service” de l’autre, ni inversement. L’un et l’autre se complètent et se renforcent pour atteindre conjointement un même objectif : faire vivre la marque auprès des consommateurs, la rendre “désirable” et mémorable. Avec malgré tout des angles de vue différents et complémentaires.

Un point sur le design et le marketing

Marketing et design ne s’opposent pas. Ils se complètent, interagissent, se contraignent et se stimulent. Ces deux disciplines partagent des objectifs similaires dont ceux de la désirabilité, mais celle-ci ne repose pas sur les mêmes critères.

 

Le marketing cherche à séduire par l’émotion.

 

Vis-à-vis du « consommateur », le marketing et le design n’utilisent pas la même approche. Ceci mène parfois à des incompréhensions entre les professionnels de ces deux disciplines, encore trop peu habitués à travailler ensemble durant leurs études.[1]

 

Les marketers proposent principalement une « innovation émotionnelle ».

Le marketing cherche à influencer le comportement d’achat des consommateurs en jouant sur la valeur perçue de la marque. C’est de là que naissent les émotions, l’envie, le coup de cœur et donc l’achat. Le marketing, guidé par cette soif de désirabilité vis-à-vis du consommateur, a parfois dévié de son objectif initial pour stimuler des attentes plutôt que de communiquer sur des réponses à des attentes existantes, ce qui a entrainé un certain rejet du marketing traditionnel par la société.

 

Par ailleurs, les techniques marketing se basent beaucoup sur le questionnement direct d’un panel de consommateurs, ce qui assure une certaine efficacité mais mène surtout à l’innovation incrémentale comme le rappelait fin 2015 Michaël Haddad, chez L’Oréal Recherche et Innovation, dans cet article :

 

« Si je demande à mon client ce qu’il veut, que je le conçois, que j’estime un prix juste, que je sais en faire la promotion et le distribuer, alors le succès sera au rendez-vous.

C’est évidemment une méthode qui a porté ses fruits. Elle a ses limites : bien souvent, en négligeant le rôle du créatif et en le délégant au client, elle produit surtout des innovations incrémentales. En effet, l’utilisateur « lambda » demandera facilement un produit plus beau, plus léger, plus économe ou un service plus rapide, à domicile… Mais sans connaissances des contraintes réglementaires ou industrielles, la boîte à idées des clients est souvent pleine de projets infaisables. Ou, à l’inverse, ne pouvant connaître les technologies émergentes, ils ne peuvent proposer la rupture. »

 

L’innovation d’expérience, celle qui est de plus en plus recherchée par les marques, se situe en réalité au croisement des composantes humaine, économique et technologique, comme l’illustre le schéma suivant proposé par l’agence de design IDEO :

 piliers innovation

Ceci amène les différents professionnels – ingénieurs, designers, marketers, entre autres – à travailler ensemble.

Au-delà de la sphère de la désirabilité qui le préoccupe, le marketing est souvent le garant de la composante business (marché). Ainsi, au fil du développement du projet, lors des phases de sélection des idées notamment, le marché revient comme un élément d’arbittrage.

 

Le design (re)crée du sens.

 

Le design est ici à considérer sur deux plans :

 

Le design graphique permet d’exprimer la marque.

Le design est souvent réduit à la forme visuelle de la marque : un logo, une identité visuelle, un packaging… Bien sûr, cela fait partie du design. Tout consommateur voit avant tout l’aspect extérieur du produit, c’est ce qui peut le séduire.

Le marketing, depuis longtemps, est client du design graphique mais, pour créer de la valeur aujourd’hui, le design graphique seul ne suffit plus. Il faut générer des émotions issues d’expériences inoubliables, ce qui demande une analyse approfondie de l’utilisateur et de son environnement préfigurant la création de valeur pour ce dernier.

 

Le design comme méthode de conception centrée sur l’humain permet de mieux répondre aux attentes des consommateurs et de créer ces expériences.

Le « design thinking », comme modélisation du mode de pensée et de la méthodologie du designer, permet de comprendre les utilisateurs et de créer de la valeur pour ce dernier comme pour l’organisation/la marque.

Le designer fera en sorte de comprendre les utilisateurs, leur environnement, leurs besoins, souvent inexprimés et inexprimables, parfois même inconscients, ce sur quoi s’attardent peu les professionnels du marketing. Ce que l’on nomme ainsi la « recherche utilisateur » est un complément essentiel des techniques marketing pour percevoir les besoins réels et latents des utilisateurs.

Le design s’attache ainsi à l’aspect qualitatif de la démarche exploratoire en amont et en complément de l’aspect quantitatif du marketing et de ses outils comme les études de marché.

 

courbe de gauss

Tandis que le marketing s’intéresse au potentiel marché dans une approche quantitative des clients « type » ou « moyens », le design s’intéresse beaucoup aux utilisateurs extrêmes et au potentiel d’innovation de rupture qu’ils représentent. L’observation et l’analyse de leurs comportements permettent de détecter des contournements possibles en termes d’usages ou des besoins potentiels.

Le postulat est par ailleurs le suivant : si ça marche pour eux, alors ça marche pour tous !

 

Véronique Hillen, directrice de la Paris d.school explique la complémentarité de l’approche ethnographique utilisée par le designer avec une approche marketing[2] :

 

« A l’analyse objective de données issues du passé et basées sur une logique de segmentation, la recherche ethnographique exploite à l’opposé une interprétation empathique axée sur le recueil de données qualitatives par rapport aux individus et à leurs comportements.

Découvrir des besoins non exprimés pour inspirer de nouvelles idées en est l’objectif principal, objectif qui s’oppose à une logique d’amélioration de l’offre existante basée sur la formulation de besoins explicites. En termes de méthode, les données sont collectées par l’observation directe de contextes réels, en privilégiant des conversation dynamiques et l’apprentissage d’utilisateurs extrêmes, contrairement à des protocoles basés sur des interactions avec des groupes cibles représentant un grand potentiel de marché dans des environnements contrôlés impliquant l’utilisation de questionnaires préétablis. »

 

Ces différences révèlent en fait une grande complémentarité entre les deux approches, également illustrées par les propos suivants de Peter Thomson issus de cet article :

 

« Marketing thinking is all about seeing people in aggregate so that you can communicate with them as efficiently as possible. Design thinking is all about seeing people as individuals so you can delight that one person and extrapolate that out to others.

 

Marketing: What will please the greatest number of people just enough to buy our product?

 

Using a design approach at first tends to lead us through empathy, user centrednesss and creativity to ask:

 

Design: What will delight the specific person that we created this for, so much that they tell other people about it? »

 

Le design doit permettre de questionner la création de valeur effective pour l’utilisateur, au-delà de la valeur perçue a priori. Le marketing permettra de formuler et de communiquer concrètement la proposition de valeur.

La difficulté dans la collaboration entre designers et marketers est alors parfois de trouver un terrain d’entente entre les contraintes imposées par le marketing (l’ADN de la marque et la viabilité économique de la proposition) et les innovations d’usage proposées par le design.

 

La rencontre du design et du marketing autour du sens et ses enjeux : décloisonner, collaborer, co-créer !

Contrairement au marketing traditionnel qui se préoccupe principalement de la notoriété de la marque, ce que l’on nomme aujourd’hui le marketing utile se concentre sur sa réputation. Pour cela, il amène les marques à développer leur utilité et à s’engager sur le plan social/sociétal.

 

« Dans le prolongement, le marketing utile tentera de répondre aux besoins existants plutôt que d’en créer continuellement de nouveaux. Le marketing traditionnel a trop longtemps été détourné pour uniformiser les besoins des masses, à tel point que la profession en a perdu une partie de ses fondamentaux : adapter sa proposition au marché et non uniquement l’inverse. »

Article « Pourquoi Design et Marketing utile sont-ils si proches ? », par Brieuc Saffré

 

C’est donc ici que se rencontrent design et marketing. Car aujourd’hui, dans ce que l’on appelle le marketing utile comme dans le design, la recherche de sens est fondamentale, à l’image de ce que souhaite la société, à l’image du citoyen.

 

Complémentaires plutôt qu’opposés, l’enjeu est donc de réunir designers et marketers autour de ces projets, de cette recherche de sens et d’utilité, et de sortir des silos de l’organisation.

 

Au-delà de cette collaboration entre professionnels, un autre type de co-création est également possible. Le designer invite chaque jour davantage les utilisateurs à devenir co-concepteurs. Co-créer avec les usagers revient en effet à s’assurer d’un usage attendu et efficient de la solution par ses futurs utilisateurs. Ce passage du design vers le « co-design » est une évolution marquante fortement liée au marketing, comme l’explique Tim Brown de l’agence de design IDEO :

 

Autrefois, on voyait le consommateur comme un objet d’analyse, ou pis encore, comme la cible malheureuse de stratégies marketing prédatrices. On entre désormais dans l’ère d’une collaboration de plus en plus profonde, non seulement entre les membres de l’équipe de design, mais entre l’équipe et le public qu’elle veut atteindre.”[3]

 

Même si les utilisateurs ne seront probablement pas les vecteurs d’une innovation de rupture, nous l’avons dit, la co-création permettra de mesurer l’acceptabilité d’innovations de rupture nées de la compréhension des besoins de ces utilisateurs, de l’apport créatif du designer, de la collaboration des professionnels de l’entreprise et de l’implication des citoyens.

 

Le « design thinking » consiste ainsi à utiliser les méthodes et outils du designer et d’autres disciplines comme l’ethnographie, le marketing, l’ingénierie, le management, pour mettre en place une approche multidisciplinaire centrée sur l’humain visant à répondre à une question. Il est alors source d’innovation et surtout de valeur (pour l’utilisateur/le consommateur comme pour la marque), c’est bien là l’enjeu du design comme du marketing. Qu’en pensez-vous ?

 

 

[1] Même si des projets comme Triaxes, initiés par l’ULB, Solvay et la cambre à Bruxelles et réunissant ingénieurs de gestion, ingénieurs polytechnicien et designers industriels, essayent de combler ces lacunes. Vous pouvez retrouver le guide 2015-2016 du projet Triaxes ici.

[2] Véronique Hillen, 101 repères pour innover. 101 repères que j’ai découverts pour innover grâce au design thinking.

[3] Extrait de L’Esprit design, Tim Brown, Pearson, 2009 (p.59-60)

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Le Gamestorming, ou innover par le jeu

« La créativité, c’est pour les artistes, les inventeurs… Nous, nous faisons du business ! »

Heureusement, nous n’entendons pas – ou plus – ce genre de commentaires. Aujourd’hui, les dirigeants et autres managers ont pris conscience de l’atout que représente l’intégration de la créativité à leur process, à leurs projets, à leur organisation, en vue d’innover.
Pour autant, avoir confiance en son potentiel créatif et le stimuler n’est pas toujours facile au quotidien. Les techniques faisant appel aux mécanismes du jeu se révèlent dans ce cadre particulièrement efficaces.

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L’innovation de process et l’innovation organisationnelle vues sous l’angle du design

« Une innovation est la mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé (de production) nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques d’une entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures. »

OCDE, Manuel d’Oslo : Principes directeurs pour le recueil et l’interprétation des données sur l’innovation, 3ème édition (2005)

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